Tribune – Sport de haut niveau et business travel : même combat ?

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Tribune - Sport de haut niveau et business travel : même combat ?

A l'occasion de l'Euro 2024 de football, Julien Etchanchu, du cabinet Advito, tente un parallèle éclairant entre les enjeux environnementaux des compétitions sportives et du business travel, entre progrès incontestables et insuffisances regrettables...

Le championnat d’Europe vient de débuter en Allemagne, et l’UEFA n’y va pas par quatre chemins : cet Euro 2024 sera  "la référence en matière de durabilité pour tout événement sportif". Or, à bien des égards, l’analyse de ce rendez-vous sous le prisme environnemental révèle de nombreuses similitudes avec le business travel.

Mesures d’envergure, progrès incontestables 

En matière de durabilité, si les organisations internationales de football (UEFA, et surtout FIFA) n’ont pas particulièrement brillé par le passé (cf la coupe du monde au Qatar et ses conditions de travail sur les chantiers, ses climatisations géantes, etc), force est de constater que cet Euro s’annonce sous de bien meilleurs auspices et que l’UEFA, ainsi que les autorités allemandes, ont fait preuve d’un réel volontarisme.

D’abord, l’organisation a essayé de regrouper au maximum les matchs de poule de chaque équipe qualifiée, divisant le territoire en 3 zones, en gros Nord-Est, Ouest et Sud. Ainsi, les Pays-Bas, adversaires de la France, ont joué leurs trois matchs à Hambourg, Leipzig et Berlin. Les Bleus, eux, ont joué deux matchs sur trois dans la Ruhr (Dortmund et Düsseldorf), ce qui minimise les déplacements des équipes, mais surtout des supporters. 

Autre mesure phare : les fans sont grandement incités à se déplacer par le rail, via des tarifs très attractifs sur les trains à grande vitesse ainsi que sur les transports publics, ce qui devrait faire chuter le taux de supporters se déplaçant en avion ou en voiture. Arrive ensuite une multitude de mesures moins spectaculaires mais tout de même impactantes au niveau environnemental (saucisses végétariennes systématiquement proposées en alternative, éclairage LED dans tous les stades, etc) comme en matière d’inclusion (toilettes non genrées, commentaires audio dans les stades pour les malvoyants, meilleurs accès PMR, etc)

Enfin, un fond climat est mis en place, certes pour faire de la bonne vieille compensation, mais avec un prix élevé (25€ pour chaque tonne émise), qui peut laisser espérer des projets de qualité, et sans la moindre référence à la neutralité carbone : on progresse !

Du « voyager mieux » donc, également très visible dans le business travel depuis quelques années : certaines sociétés du CAC40 ont tout bonnement interdit l’avion sur des lignes bien desservies par le TGV, les hôtels proposent de réelles initiatives pour minimiser leur impact (eau, plastique, etc) et le parc de voitures de location s’électrifie de plus en plus. Enfin, la communication (loin d’être anodine sur ce sujet) s’éloigne de plus en plus des allégations de neutralité, signe d’un nivellement par le haut de l’éducation et des connaissances en matière environnementale.

Mais, dans le couloir, un éléphant tend à grossir

De vrais pas en avant niveau durabilité sur cet Euro donc, mais ces progrès sont quelque peu balayés par une tendance lourde du football mondial : la hausse constante du nombre d’équipes qualifiées, donc de la taille des événements. Ce ne sont pas moins de vingt-quatre nations qui ont décroché leur billet pour cet Euro allemand, contre seulement seize en 2012 et huit en 1992 ! De même, les prochaines coupes du monde inviteront quarante-huit équipes contre trente-deux aujourd’hui et vingt-quatre en 1994. Ce qui va donc drainer des centaines de milliers de supporters supplémentaires : les Ecossais, à eux seuls, étaient 150.000 pour soutenir leur équipe outre-Rhin, et, par définition, n’ont pas pu gagner l’Allemagne en train…

Sur ce sujet primordial (les déplacements de fans représentent de loin la première source d’émissions de ce type d’événements), l’UEFA reste assez évasive (un calculateur carbone a été créé mais il ne semble pas inclure ce poste central), mais au moins, a renoncé à son projet d’Euro à 32 équipes pour 2028. 

Contrairement à la FIFA malheureusement, qui ne semble pas franchement avoir pris la mesure du sujet : on pensait avoir atteint le sommet au Qatar, mais les éditions 2026 (organisée conjointement aux Etats-Unis, Canada et Mexique) et 2030 (Espagne, Portugal, Maroc, mais avec des matchs en… Amérique du Sud) pulvériseront tous les records en matière d’émissions carbone.

Même tendance dans l’aviation, où jeter un œil au carnet de commande d’Airbus et Boeing suffit à faire frissonner qui souhaite que l’aérien prenne le sujet au sérieux.

En revanche, le son de cloche est un peu différent côté business travel : si de nombreux acteurs continuent de croire en une solution miracle qui permettra une croissance infinie, on trouve également de (très) nombreuses entreprises ayant totalement intégré que l’atteinte des objectifs climatiques passera d’abord par une baisse de la demande. Avantage business travel donc, a minima dans les pays occidentaux, cette volonté claire de réduire la demande semblant bien moins prégnante en Asie notamment.

Sport et business travel, même futur ?

Se pose alors une question plus globale : business travel et sport de haut niveau sont-ils compatibles avec la lutte contre le changement climatique ? Pourra-t-on éternellement envoyer chaque année la moitié de la planète tennis à Melbourne pour l’Open d’Australie ? A organiser vingt-quatre Grand prix de Formule 1 à travers le monde ? A accueillir les équipes de l’hémisphère Sud pour les test-matchs du XV de France ? A organiser des team meetings à l’autre bout de la planète ? A allez visiter régulièrement ses clients et ses équipes outre-Atlantique ?

Il ne s’agit pas ici de remettre en cause l’apport sociétal et économique (incontestables) du sport de haut niveau ni du business travel, simplement de reconnaître que certains événements pourraient n’avoir d’autre choix que de réduire la voilure (hausse des températures, hausse du prix de l’énergie, pression environnementale/budget carbone, ou plus sûrement toutes ces raisons à la fois).

Il est donc encore temps de préserver le sport de haut niveau comme il faut préserver le business travel. Et, dans les deux cas, la solution tient en deux mots : moins et mieux. 

Le « moins » est largement atteignable sans renoncer à ces évènements qui font rêver : côté sportif, il suffit de réduire le nombre de matchs (ce que demandent désespérément joueurs et entraîneurs depuis 20 ans), à commencer par les inutiles tournées d’avant-saison à l’autre bout du monde : on peut estimer que 10 à 15% de l’empreinte carbone du PSG est générée par ces tournées du mois d’août en Asie (lucratives mais honnies par les joueurs). De même, revenons à la raison sur le nombre d’équipes participant aux phases finales, ce qui, au passage, réhaussera l’intérêt sportif de des compétitions, en les nivelant par le haut. En bref, comme pour le business travel, de vraies marges de manœuvre existent (les équipes de tClara estiment que 20 à 30% des voyages professionnels sont inutiles) et permettent de préserver l’essentiel.  

En matière de « mieux » enfin, l’Euro 2024 marque un vrai tournant et doit inspirer les éditions futures. L’avenir nous dira s’il s’agit d’un coup d’épée dans l’eau ou s’il marque le début d’une réelle prise de conscience, dont semble faire preuve le business travel depuis quelques années.