T. Janin (Ilios International) : « Une hausse de la criminalité au niveau mondial »

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Thibault Janin (Ilios International) :

Nous avons interrogé Thibault Janin, CEO d’Ilios International, sur les points chauds du globe en termes de sécurité pour les voyageurs d’affaires.

Lorsque nous l'avons interrogé sur les zones à risque mondiale pour les voyageurs d'affaires Thibault Janin a opté pour une distinction par nature de risque, plutôt que par région. Nous reprenons ici sa typologie : risques géopolitiques, tensions politiques et sociales et criminalité/terrorisme.

Risques géopolitiques

A ce chapitre, il y a trois grands dossiers : Ukraine, Taïwan et Proche-Orient qui sont tous des crises qui durent et vont durer : qui se traitent sur le temps long. 

Proche-Orient. Les pays de la régions (Egypte, Liban, Iran, Jordanie) n’ont pas intérêt à l’embrasement. Israël résiste aux pressions internationales et maintient sa stratégie dure dans la bande de Gaza, quant au Hamas, il n’a pas l’intention de céder. Ces éléments font que la zone demande des précautions mais est dans une situation de statu quo. “Les affaires continuent. Les ONG sont bien sûr présentes. J’ai des clients qui ont un chantier à Naplouse et dans le Sud-Liban, en ce moment. Si les risques sont bien évalués, si une évacuation rapide est possible, on peut y travailler même si le risque peut changer d’un jour à l’autre. C’est du fait-main”, explique Thibault Janin.

Ukraine. C’est une guerre de position qui dure et va durer. “Celles de nos entreprises d’ingénierie qui se rendent en Ukraine, c’est surtout pour garder le contact avec leurs clients : peu de projets sont en cours. On les accompagne sur Kiev et sur Lviv mais pas plus à l’Est.” 

Selon Thibault Janin, il n’existe pas de risques particuliers dans les zones proches du conflit, qu’il s’agisse des Pays baltes, de la Pologne ou des oil destinations qu’on peut notamment trouver en Asie centrale. Il en irait peut-être différemment pour la Moldavie (notamment la Transnistrie), mais ce n’est pas une destination qu’Ilios a eu à traiter.

Par ailleurs, “on peut toujours aller en Russie, même si, pour cause de fermetures de ciel, on est obligé de s’y rendre via la Turquie. Les échanges avec les entreprises russes existent toujours. On fait un gros travail de sensibilisation auprès des collaborateurs amenés à y voyager, y compris sur le profil bas qu’ils doivent adopter dans leurs actes et leurs paroles”. La récente arrestation d’un ressortissant français par les autorités russes ne change-t-elle pas la donne ? “C’est très variable, ça dépend de plein de paramètres. Concernant le voyageur : “membre du comex, commercial, responsable pays, ingénieur ?” Concernant l’entreprise : “ses relations avec la Russie sont-elles anciennes ? A-t-elle un contact fiable en Russie ? Ses collaborateurs s’y rendent-ils souvent ? Quel secteur d’activité ?... A titre d’exemple, pour un membre du comex d’une entreprise de l’industrie devra prendre des précautions, évidemment. Si c’est un responsable de zone dans l’agro-alimentaire, moins.

Taïwan. Selon , pendant longtemps, Taïwan a été un îlot à protéger absolument car vitaux pour les Etats-Unis et l’Occident, notamment à cause des semi-conducteurs et des sociétés informatiques. Il y a cependant toujours des voyageurs d’affaires à Taïwan… “Il n’y a pas de crise ouverte, c’est assez stable, mais c’est de la gestion de risque à l’instant T car il peut y avoir des soubresauts. Il faut les anticiper et sensibiliser les voyageurs.”

Tensions politiques et sociales 

L’année 2024 était annoncée comme potentiellement explosive en raison de la cinquantaine de pays avec des élections majeures. A date, il en reste une vingtaine à venir.

Afrique. C’est une bonne surprise. Par exemple, la transition au Sénégal a mal commencé mais les choses sont finalement rentrées dans l’ordre en douceur. Transition dans le calme aussi “en RDC, à Madagascar. Et nous sommes optimistes pour les élections prochaines en Mauritanie ou, à la rentrée, en Algérie”. Sur le continent africain, c’est peut-être en Afrique du Sud que les tensions sont plus fortes qu’habituellement. Cependant, les pays de la bande sahélienne restent problématiques pour les voyageurs français, y compris le personnel diplomatique : “Récemment des Français ont été inquiétés voire malmenés et menacés à leur arrivée à Bangui (Centrafrique). La présence de la milice Wagner n’y est pas pour rien. Idem au Mali. Les Français sont persona non grata au Niger et au Burkina-Faso, par voie de conséquence, il y a de moins en moins de projets dans ces pays.

Amérique latine. Il y certains pays latino-américains qui sont perpétuellement dans une situation d’instabilité politique ou, du moins, de stabilité précaire pouvant basculer rapidement. C’est le cas, pour prendre deux géants de l’Argentine et du Brésil. Les nouvelles menaces qui pèsent sur les voyageurs d’affaires dans le sous-continent relèvent avant tout de la criminalité, comme nous le voyons ci-dessous.

Criminalité/terrorisme

Le jumelage des risques “criminalité” et “terrorisme” ne coule pas de source. Elle mérite une explication. Le terrorisme comme mode opératoire d’un groupe armé (tel Daesh, Al Qaeda, Boko Haram…) est en perte de vitesse. Le risque terroriste, aujourd’hui, relève avant tout de l’acte isolé. Par sa difficulté à l’anticiper, il s’assimile davantage à de la criminalité, nonobstant sa dimension politique.

Ces actes de “loups solitaires”, de terrorisme “lowcost”, très peu armé concerne avant tout les pays occidentaux, l’Europe en particulier, notamment la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Danemark et la Suède. Et dans ces pays, “il y a des zones plus sensibles : gares, aéroports, grands centres commerciaux, marchés…

Le diagnostic “criminalité” de Thibault Janin n’est pas reluisant : “Il y a une hausse générale au niveau mondial.” C’est donc le cas en Europe ou aux Etats-Unis. “Quand je vois les cartes mondiales avec des codes couleur correspondant à leurs dangerosité, le “vert” des Etats-Unis m’étonne toujours : certains quartiers sont de véritables jungles.” Mais ces quartiers sont-ils réellement fréquentés par les voyageurs d’affaires ? Réponse affirmative déclinée en deux temps : “Par exemple, l’une des zones de vigilance de Paris va de l’Arc de Triomphe à la Concorde. C’est évidemment, aussi, un quartier d’affaires.” D’autre part, si “la journée du business traveler se déroule dans des quartiers calmes, il n’en va pas forcément de ses soirées…

La Suisse, l’Australie ou le Canada n’échappent pas au phénomène : “Nous avons relevé leur risque de 1 à 2 sur une échelle de 5. Ca reste donc des pays sûrs mais où on constate donc une hausse”.

Mais la hausse de la criminalité est plus particulièrement spectaculaire en Amérique latine, notamment en Colombie et en Equateur qui, pour ce dernier pays, n’était pas sujet à ce genre de problématiques. D’autant que l’enjeu, dans ces pays, auxquels on peut ajouter certaines zones mexicaines, n’est pas de prévenir le risque “pickpocket” : grand banditisme, cartels de narcotrafiquants…